Bio, locale, faite maison… et moins chère : à Romainville, la cantine scolaire fait sa révolution
Les équipes de la cantine de Maryse-Bastié préparent des repas pour 350 couverts. Photo Lea Crespi pour Télérama
Par Marion Rousset
Dans le groupe scolaire Maryse-Bastié de Romainville, le chef et les commis privilégient des menus de saison et limitent le gaspillage. Reportage dans cette cantine pilote, qui a fêté son premier anniversaire en début d’année.
En devanture, le menu du jour est rédigé à la craie sur un tableau noir. Comme au restaurant, sauf que c’est une école. Salade d’endives au miel et aux noix en entrée, lasagnes aux légumes ou poulet en plat de résistance, tarte aux poires et chocolat en dessert. Les familles venues déposer leurs enfants se lèchent les babines devant l’écriteau, visible depuis le parvis du groupe scolaire Maryse-Bastié. Un bâtiment récent implanté à Romainville (93) dans le quartier Youri-Gagarine, et doté d’une cantine flambant neuve qui a soufflé au début de l’année 2024 sa première bougie. En cuisine, le chef et ses commis s’affairent depuis six heures du matin. Penché sur le batteur électrique dans lequel il dépose d’énormes mottes de beurre, Samuel Mocka – uniforme noir des pieds à la toque – s’essuie les mains sur le torchon accroché à sa ceinture. Dehors, le chariot de livraison patine dans la neige. Un courant d’air glacial s’engouffre par la porte de service, le temps de réceptionner l’arrivage de fruits et légumes. « Les ananas, ce n’est pas pour nous ! » lance le cuistot, une fiche à la main. Alors qu’il entrepose pommes, pamplemousses et kiwis dans la chambre froide, les poires atterrissent dans l’évier d’où s’échappe une odeur de vinaigre blanc. Avant, presque toute la nourriture atterrissait à la poubelle, il fallait être deux pour la porter. Les enfants ne mangeaient pas ce qu’on leur servait. Aziza Oualouche, agente du groupe scolaire Maryse-Bastié Ça tombe bien, Diorobo Gassama et Aziza Oualouche attaquent justement le dessert. Autrefois préposées à l’ouverture de barquettes en plastique, les deux femmes s’attellent sans tarder à tailler des lamelles pour trois cent cinquante couverts. « Comme les poires sont bio, on peut garder la peau », souffle Samuel. Qui râpe de l’écorce de citron et goûte sa préparation avant qu’elle ne passe sous le rouleau de Diorobo. « Si tu t’y prends de cette manière, elle va être trop épaisse. Je vais te montrer une astuce », lui glisse-t-il.
Le chef Samuel Mocka, passionné de gastronomie, entend donner le goût de « la bonne cuisine » aux élèves. Photo Lea Crespi pour Télérama.
Plus qu’à étaler une couche de compote maison qui attend dans son bac en inox, à disposer par-dessus les fruits juteux et sucrés, sans oublier la petite touche finale. « On ajoute un peu de sucre pour que ça brille comme les yeux d’Aziza ! Et si les tartes ne sont pas assez dorées, on fera un sirop », clame Pierre Blivet, employé par la collectivité, qui possède un bac pro restauration. Ce jour-là, il met la main à la pâte pour seconder le chef, occupé à d’autres tâches. Dans une salle attenante, Samuel allonge en effet sa béchamel destinée à venir napper les restes de poulet au curry de la veille et les rondelles de carottes dont le surplus servira dans une soupe ou un cake. Rien ne se perd, tout se transforme. « Avant, presque toute la nourriture atterrissait à la poubelle, il fallait être deux pour la porter. Les enfants ne mangeaient pas ce qu’on leur servait. Il faut dire que même nous qui réchauffions les barquettes, nous ne savions pas ce qu’il y avait dedans… », soupire Aziza. « Maintenant, ça n’a plus rien à voir, on fait même la confiture ! » lance-t-elle, sourire jusqu’aux oreilles.
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De quoi redorer l’image de la cantine scolaire qui, depuis des générations, donne la grimace à des élèves gavés d’aliments transformés insipides. « On n’est pas jusqu’au-boutistes, sourit
Le chef Samuel Mocka, passionné de gastronomie, entend donner le goût de « la bonne cuisine » aux élèves. Photo Lea Crespi pour Télérama.
Plus qu’à étaler une couche de compote maison qui attend dans son bac en inox, à disposer par-dessus les fruits juteux et sucrés, sans oublier la petite touche finale. « On ajoute un peu de sucre pour que ça brille comme les yeux d’Aziza ! Et si les tartes ne sont pas assez dorées, on fera un sirop », clame Pierre Blivet, employé par la collectivité, qui possède un bac pro restauration. Ce jour-là, il met la main à la pâte pour seconder le chef, occupé à d’autres tâches. Dans une salle attenante, Samuel allonge en effet sa béchamel destinée à venir napper les restes de poulet au curry de la veille et les rondelles de carottes dont le surplus servira dans une soupe ou un cake. Rien ne se perd, tout se transforme. « Avant, presque toute la nourriture atterrissait à la poubelle, il fallait être deux pour la porter. Les enfants ne mangeaient pas ce qu’on leur servait. Il faut dire que même nous qui réchauffions les barquettes, nous ne savions pas ce qu’il y avait dedans… », soupire Aziza. « Maintenant, ça n’a plus rien à voir, on fait même la confiture ! » lance-t-elle, sourire jusqu’aux oreilles. À lire aussi : Sur TikTok, les cantiniers font recette De quoi redorer l’image de la cantine scolaire qui, depuis des générations, donne la grimace à des élèves gavés d’aliments transformés insipides. « On n’est pas jusqu’au-boutistes, sourit cependant Pierre Blivet. Le yaourt, le pain et le fromage blanc, on les achète tout faits. Et on continue de proposer du chocolat, des bananes et du sucre de canne même s’ils ne sont pas produits localement. » Mais, autant que possible, la cantine de Maryse-Bastié maintient le cap qu’elle s’est fixé il y a un an : des mets faits maison à base de produits bio, locaux et de saison.
Les agents de la cantine y gagnent également au change : ils et elles participent désormais à l’élaboration du repas. Photo Lea Crespi pour Télérama.
Un tour de force dans une ville de 35 000 habitants insérée dans le tissu urbain du Grand Paris. On connaissait le projet du chef Pierre-Yves Rommelaere au collège de Lézignan-Corbières, une commune de l’Aude environnée de champs, ou celui de Jean-Marc Mouillac à Montignac, dans le Périgord noir. Mais dans la plus grande métropole de France et si proche de la capitale, personne n’y croyait. « En milieu urbain, le lien à la terre est plus distant, et les circuits courts plus compliqués à mettre en place. Tout le monde nous disait que c’était impossible, on nous prenait pour des doux dingues, d’autant que cela fait quarante ans qu’on raconte aux élus que l’avenir est aux cuisines centrales, à la liaison froide et à l’agro-industrie », gronde le maire de Romainville, François Dechy (DVG).
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Cet ancien professionnel du secteur, qui a fondé l’association À table citoyens et dirigé une entreprise d’insertion dans l’alimentaire, ne se laisse pas dissuader pour autant. Avec l’appui de la diététicienne Isabelle Bretegnier, qui a créé le collectif Pas d’usine, on cuisine ! avec quelques parents d’élèves, il se lance. « On savait tout ce que les enfants avaient à y gagner, mais aussi les agents, qui sont d’anciennes Tolf (techniciens d’officier en liaison froide), des femmes à 99 %, pour qui c’était un crève-cœur de se lever le matin pour réchauffer des barquettes », relève-t-il.
Tout ce qui n’est pas utilisé un jour le sera pour un autre repas. Photo Lea Crespi pour Télérama.
En revanche, il avait des doutes sur sa capacité à maîtriser les coûts et se préparait à assumer auprès de ses administrés des tarifs plus élevés. Mais là, surprise, c’est l’inverse qui s’est produit. Chasse au gaspillage, quantités dans l’assiette ajustées à l’appétit des petits, portions de viande réduites… Contre toute attente, les économies sont au rendez-vous : le repas du midi revient à deux euros brut et le goûter à un euro. Ce qui donne des ailes à François Dechy qui compte bien, d’ici à la fin de son mandat, élargir le dispositif à la moitié des écoles de Romainville. En attendant, il se fait un plaisir d’accueillir les élus de tous bords qui défilent dans son bureau. À Maryse-Bastié, l’heure tourne. Dans la cour de récréation, les élèves font des batailles de boules de neige pendant qu’en cuisine l’équipe slalome entre les chariots. « Go go go ! » Au-dessus des poêles et des casseroles, l’horloge murale affiche bientôt 11 heures. Mais Samuel, lui, reste zen. Il tapote sur son four dernier cri pour lancer le programme de cuisson et se met à la vinaigrette : du sel et du poivre, de l’huile et du citron, de l’ail et… un gros pot de miel. Depuis qu’il ajoute cet ingrédient, les endives passent mieux. « C’est pareil pour le panais, avant c’était une catastrophe, mais en purée, mélangé avec des pommes de terre, les élèves apprécient », se réjouit-il.
Dans la nouvelle cantine du groupe scolaire Maryse-Bastié, les enfants mangent davantage et le gaspillage est moindre. Photo Lea Crespi pour Télérama.
Ce qui n’empêche pas ce passionné de gastronomie, qui a fait ses armes aux Antilles, de titiller les jeunes papilles à coups de curcuma et de gingembre. Sans perdre de vue son objectif : leur donner le goût de « la bonne cuisine de nos ancêtres, des repas oubliés comme le cassoulet de lapin, la blanquette de veau, le porc à la provençale… » Il projette même de leur concocter des tripes. Lui, en tout cas, n’en manque pas !